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Sur l’Ile à Vache

Tout le monde a déjà entendu parler d’Haïti, ne serait-ce que vaguement par les infos à la téloche… Hispaniola, grande île de la Caraïbe coupée en deux. Deux tiers hispaniques, la République Dominicaine, un tiers anciennement français puis indépendant depuis 1804, Haïti. Fierté d’être la toute première république noire indépendante ! Mais… Papa Doc, Aristide, les Chimères, de désastres en instabilités politiques… De plus, les catastrophes naturelles ont tendance à frapper souvent le pays : multiples cyclones, pluies diluviennes, glissements de terrains sur des sols érodés à cause d’une déforestation excessive, appauvrissement des terres, terribles séismes dont celui de 2010, urgence sanitaire, épidémie de choléra… Aujourd’hui, Haïti est le pays le plus pauvre de tout l’arc antillais. Pauvreté qui s’accompagne de tous ses maux habituels ; malnutrition, chômage, violence, insécurité, accès très restreint et payant à l’éducation…
Le tableau n’est pas vraiment avenant. Mais tout au sud-ouest d’Haïti, il y a l’Ile à Vache. Petit bout de terre à l’écart de tout ça malgré bien sur des difficultés quotidiennes évidentes. Comme nous le confirmera un île-à-vachois avec qui nous avons pu discuter, cette île est presque un petit paradis comparé à l’île mère d’en face…
Ici pas de moteurs pour les bateaux, les pêcheurs sont à la voile. Quand il y a trop de vent, ils ne peuvent pas sortir. Ne pouvant pas couvrir de longues distances, leur périmètre de pêche est assez restreint et contribue donc à appauvrir les ressources. Par exemple, les poissons et les langoustes pêchés sont de plus en plus petits… Pas de véhicule motorisé à terre non plus ou très très peu. Pas d’électricité sauf quelques lampadaires isolés fonctionnant grâce à un petit panneau solaire. Pas d’eau courante et pas d’eau potable sans traiter et conserver l’eau de pluie. Pas d’école pour tous. Peu de travail et beaucoup de débrouilles… Et pourtant, les île-à-vachois sont vraiment accueillants, souriants et bienveillants. Il serait dommage de passer devant cette île sans s’y arrêter au moins quelques jours. D’autant plus, que l’Ile à Vache est réellement belle. Le mouillage où nous sommes est un port naturel bien protégé de la mer et des vents. La baie est bordée de cocotiers et l’île entière est toute verte. Au loin, plusieurs petites cayes sont également coiffées de végétation…
Pour tout dire, nous avions un peu peur d’arriver les mains (presque) vides par rapport aux flottilles de bateaux qui ramènent avec eux toutes sortes de choses, notamment pour l’orphelinat de Sœur Flora. L’escale s’est décidée en cours de route et nous n’avions pas préparé du tout cet arrêt alors qu’il aurait été judicieux de le faire bien avant le départ. Vous allez à Haïti ? Aaaah vous aussi, vous faites également de l’humanitaiiire !! Euh bah non. Un peu culpabilisant du coup ces bons samaritains. Alors on a fait avec les moyens du bord en récupérant tout ce qui ne servait pas ou plus dans le bateau et qui leur sera d’une plus grande utilité. De toute façon, quand on arrive à l’Ile à Vache, c’est la claque. Les différences socio-économiques entre nous (les petits blancs en vacances sur des supers bateaux à plusieurs milliers d’euros) et la population démunie qui galère tous les jours, sont si énormes qu’on se sent salement trop riches et qu’on réalise que ce qui leur manque est finalement des essentiels. Je me suis séparée d’une bonne partie de médoc et de trucs à pansements au centre de santé du village. Des casseroles et de plats qu’on n’utilisait plus aux mamas, de fils et d’hameçons aux pêcheurs, de kg de pates et de riz et nous avons aussi troqué des pagaies célibataires, des tongs, des bouts, des crayons… contre des fruits et des légumes, du poisson…
Les sollicitations sont très nombreuses mais rarement insistantes. Les jeunes et quelques rares adultes se proposent pour vous trouver tout ce qui pourrait vous manquer et plus encore : gasoil, gaz, plats créoles, nettoyage du bateau, lustrage des inox, balade, taxiboat sur l’île d’en face, guide sur l’Ile à Vache, lessives, visite de l’hôtel américain (?), clé 3G, eau même si plus compliqué… Très peu de mendicité au final sauf de la part des tous petits à terre qui en fait ne savent pas trop ce qu’ils racontent mais qui semblent réciter ce que les plus grands leur ont appris. Comment tu t’appelles ? Moi c’est … C’est la première fois que tu viens à Haïti ? Bienvenue à l’Ile à Vache ! Est-ce que… Nous n’avions pas besoin de grand chose et nous ne disposions que de très peu d’argent liquide et pas de petites coupures donc nous avons souvent refusé leurs services. Mais pas de soucis ici et pas d’embrouilles, aucunement assimilables aux boat-boys des petites Antilles par exemple… Dans l’ensemble, on a préféré l’échange.

Maisons du village

Le centre de santé

Cet arrêt a aussi le mérite de faire réfléchir et de soulever de multiples interrogations. Tiens aller par exemple, est-il éthique de payer un môme 5 $US pour qu’il nettoie la coque de son bateau ? Ouiii, mais ici au moins ils ont envie de travailler ça fait plaisir, pas comme chez nous… Hum. Nous n’avons pas la réponse à cette question mais depuis le Cap-Vert, cette idée nous a toujours dérangé. Les dons gratuits sont mauvais et engendrent la mendicité alors je les fais travailler. J’aide le môme, en plus ça le responsabilise. Mais le môme il devrait pas être à l’école plutôt que dans l’eau à gratter la coque du bateau d’un touriste ? Et puis peut être qu’il n’attend pas après le touriste pour se responsabiliser ? Oui, je sais qu’il faudrait aller voir les parents, ou encore mieux l’école. Mais les parents gardent tout pour eux. Et 5 $US pour un boulot de merde, contraignant et surtout extrêmement fatigant tu le ferais ? Ouiii mais la vie ici est moins chère, c’est déjà beaucoup pour eux et il ne faut pas qu’il gagne plus que ses parents. Mais c’est bien qu’il travaille un peu. Ok donc finalement c’est peut être normal de délocaliser de grandes et riches entreprises dans les pays pauvres pour qu’ils emploient de la manœuvre pas chère, enfin qu’ils les fassent travailler un peu ? Oh et puis on ne va pas les payer plus étant donné que le coût de la vie chez eux est misérable. Bah non, on va juste en profiter légèrement finalement, tout en se donnant bonne conscience… Non ?
On a également eu vent du projet du gouvernement de vendre l’Ile à Vache à des promoteurs pour y construire un/des hôtel(s). Le projet était de virer les île-à-vachois de chez eux pour récupérer leurs terres. Ces derniers se sont rebellés, ont entravé les premières routes fraîchement construites et ont manifesté leur désaccord. Tu m’étonnes. A ce qu’on a compris, le gouvernement a plié et pour le moment, ils resteraient chez eux. Ils ne se disent pas contre l’installation d’hôtels sur l’île mais ne veulent pas être expulsés tout simplement comme ça. Là encore, on peut s’interroger sur les retombées économiques pour les populations locales du tourisme dans les pays pauvres… Au mieux, ça permet à ces pays de s’ouvrir au monde et de se développer en créant des infrastructures comme des routes, de l’éclairage et des bâtiments publics qui serviront à tous (encore faut-il en avoir besoin des routes, et voui sans voitures…), cela crée des emplois, ça rapporte de l’argent au pays mais là encore, il faut ensuite que le gouvernement redistribue à bon escient, en finançant des écoles et des hôpitaux par exemple… Au pire, les sites un peu intéressants et les plus esthétiques seront construits, pourquoi pas bétonnés très laids pour finir par défigurer complètement l’endroit. Ah sans oublier les barbelés ! Les investisseurs étrangers amèneront leur propre main d’œuvre puisque les locaux n’ont évidemment pas suffisamment de formation. Les seuls haïtiens employés seront balayeurs ou femmes de ménage. Les touristes ne sortiront pas de leur hôtel tout inclus et n’auront donc aucun contact avec la population. Ah oui dehors, c’est un peu plus rude et déjà beaucoup moins glamour… Et c’est l’état qui récoltera. Bref, compliqué tout ça.

« Bois fouillé » en créole : pirogue creusée dans un tronc.
Une branche de cocotier fait office de pagaie…

Pêcheurs rentrant au port

Cocotiers sur la côte

Bon aller, j’en reviens à nos oignions. Après une dernière balade dans l’île, nous remontons à bord et commençons à préparer le bateau. Le temps passe de plus en plus vite car le retour approche. Et maintenant Cuba nous appelle ! Comme nous aimerions toucher Cienfuegos avant la fin mars, nous décidons de reprendre la mer dès le lendemain pour un périple de 475 milles ! On abandonne du coup l’idée d’aller à Santiago (plus près que Cienfuegos) et préférons faire le grand tour de Cuba comme espéré et visiter ainsi la Havane. Les gribs annoncés sont un peu mous, du coup on espère avoir un peu plus de vent que prévu. Mais de toute façon, si les conditions ne sont pas idéales, il est probable que nous ferons un ou deux stops dans les Jardins de la Reine avant d’arriver…
Maintenant prochaines news par l’Iridium… ;)

En pratique :
Le mouillage dans la baie de Féret à l’Ile à Vache est payant : 5 $US pour la sécurité soit disant (pas de problème ici) et la logistique… mais « le chef de port » s’occupe aussi de récolter les poubelles du bord si besoin. A ce qu’on a compris, ces dernières sont récupérées par un canadien qui les brûle un peu plus haut…
Les petites choses les plus appréciées sont les choses du quotidien, la bouffe, le matos de pêche, les bouts, les vêtements, les tongs, les crayons et les cahiers (pour les écoles), les vieilles voiles, les médicaments (antibio et autres traitements indispensables et chers, pour les dispensaires)… Possibilité de se rapprocher d’associations locales, voir sur le net. Bonbons toujours à éviter.
Marché sur l’Ile à Vache deux fois par semaine.
Wifi de l’hôtel français fermé et payant. Possibilité de louer une clé 3G pour 3 $US de l’heure ou troc (Michelet) ou cybercafé au village…
Monnaie : gourdes, mais dollars et euros (pas les pièces) ok. Possibilité de change à l’hôtel.
Et pour quatre jours, nous n’avons pas cherché à faire les formalités d’usage…

Direction Haïti

Après un jour entier consacré à la glandouille, une de nos activités préférées, nous nous remettons en route cette fois-ci pour atteindre Haïti. L’escale n’était pas vraiment prévue mais après avoir lu et potassé pas mal de choses sur l’Ile à Vache, nous nous sommes dit que ça valait peut être le coup de bénéficier d’une escale sur la route menant à Cuba.

Adieu République Dominicaine !

Les alizés de sud-est un peu plus soutenus que les jours passés nous ont permis de tracer ses 125 milles en un peu moins de 21 heures malgré un Renaissance bridé sous 2 ris GV et un génois partiellement enroulé. Le bateau a alterné le trois quart arrière et les voiles en ciseaux. Tout à la voile, presque un miracle, sous pleine lune en plus…

Fatigué capitaine ?

Petit et joli coucher de soleil !

Lundi au petit matin, Les montagnes d’Haïti et l’Ile à Vache se dessinaient droit devant. La houle toujours très courte (période de 4-5 secondes) gonflait doucement si bien que nous étions pressés d’arriver à destination ! Peu à peu, de petites voiles illuminées par le soleil sont apparues devant nous. Renaissance a slalomé entre les pêcheurs sous GV seule à vitesse réduite pour rejoindre la pointe nord-ouest de l’île bien plus verte qu’on ne le pensait. Nous avons d’abord voulu mouiller devant la plage de l’église mais un fort clapot nous en a vite dissuadé. Finalement, nous avons rejoint la baie à Féret, LE mouillage protégé sur l’Ile à Vache où une petite dizaine de bateaux, la plupart français, barbotaient déjà…

Le plan d’eau est calme et plutôt bien abrité du vent. Nous jetons l’ancre à l’entrée par beaucoup de fond mais sur un sable de bonne tenue, avec une douzaine de gamins accrochés au liston arf ! Ils sont venus nous souhaiter la bienvenue à l’Ile à Vache mais surtout nous proposer leurs services… Nous prenons un peu de temps pour les laisser parler mais remercions gentiment tout le monde pour le moment.

Là tout de suite, une seule envie, oh oui, dormir ! :)

Un des nombreux pêcheurs haïtiens…